Un nouveau château à Margaux

Avant-première. Après trois ans de travaux, le Marquis d’Alesme présente ses nouveaux chai et cuvier, uniques à Margaux.

En plein centre de Margaux, l’entrée est discrète et imposante, en retrait derrière un large portail gris ajouré de motifs géométriques. On aperçoit le profil d’un bâtiment de 100 mètres de long aux larges épaules de pierre de taille blonde et coquillée, typique de Bordeaux et des châteaux alentour. Sur la droite, un autre bâtiment aux grandes ouvertures vitrées et aux poutres de bois. Encore un peu plus loin, le regard tombe sur un jeune jardin à droite, sur des alignements de vignes au fond, au milieu desquelles se dresse une tourelle de Château Margaux tout proche. C’est le seul endroit du village avec cette ouverture sur les vignes margalaises.

Bienvenue à Marquis d’Alesme, 3e cru classé du Médoc, dont les 
vignes existent depuis la fin du XVIe siècle, le château depuis le XIXe avec des traces du XVIIe, et les nouveaux chai et cuvier depuis… quelques mois. Les premières vinifications ont eu lieu seulement en hiver 2015. Avant, ça se passait ailleurs, dans un vieux bâtiment deux fois plus petit et moins pratique. «Cent pour cent de ce que l’on voit est neuf», insiste l’architecte Fabien Pédelaborde, qui a tout conçu, du« hameau», le lieu d’accueil, aux jardins, en passant par le bâtiment technique principal. «Ce projet a nécessité trois ans de maturation et autant de chantier avec des artisans et compagnons régionaux, poursuit ce spécialiste de l’architecture viticole, bien connu à Margaux. Et, au final, grâce à cette rencontre unique avec mon commanditaire, Marquis d’Alesme est une architecture du sentiment et de la sensualité. »

Le château et les vignes ont été achetés en 2006 par Hubert Perrodo, un homme d’affaires discret ayant fait fortune dans le pétrole en Asie, père de trois enfants, et propriétaire depuis près de vingt ans de Château Labégorce (aussi en appellation Margaux). Après son décès brutal, en 2006, sa fille, Nathalie, reprend les rênes des propriétés familiales, les restructure et recrute une nouvelle équipe, dont l’œnologue Marjolaine De Coninck, nouvelle directrice générale des propriétés Perrodo. Elle veut être celle qui va réveiller les propriétés, Marquis d’Alesme en particulier, «en hommage à son père», souligne Marjolaine De Coninck.

Double culture. Nathalie Perrodo, trentenaire, maman de trois petites filles, est aussi discrète et ambitieuse que son père. Elle ne donne aucune interview et sait ce qu’elle veut. Parmi ses critères, la jeune femme souhaitait que l’endroit reflétât la double culture franco-chinoise (par sa mère) qui l’habite, tout en conservant une assise occidentale. Résultat : au-delà des matériaux bruts comme le bois – beaucoup de portes ou de tables en chêne -, le métal ou la pierre massive, de nombreux aspects architecturaux sont autant de clins d’œil à la Cité interdite et à la cosmologie chinoise : le portail d’entrée reprend des motifs d’une sculpture chinoise. Tous les carrés (plafonds, claustras, etc.) sont calculés sur la base du chiffre 9, le chiffre symbole de l’empereur de la dynastie Ming. Les entrées des chais sont des portes en forme de lune. Dans le cuvier, les garde-corps qui s’ouvrent sur l’étage inférieur sont en écailles de laiton. Drôle d’image que de voir surgir entre les cuves en inox le dos doré d’un dragon. Sur les murs des trois niveaux du bâtiment, des motifs moulés sur des bas-reliefs en béton représentent l’eau, le ciel et la terre. Les lumières sont raffinées, entre clair et obscur dans les chais de vieillissement comme dans la Cité interdite. Le tout offre une impression subtile de dualité d’hier et maintenant, d’Occident et d’Orient, pour un lieu à la fois technique et esthétique, un bâtiment «tellurique» et plein d’imagination qui donne envie de le toucher. «Mais attention, insiste Fabien Pédelaborde, qui a travaillé avec un spécialiste de l’art chinois, ça n’est pas une chinoiserie ni un bâtiment opportuniste, mais un lieu cultivé.» On le croit. Sur le montant de l’investissement, on ne saura rien, juste que «l’enveloppe définie au départ n’a pas été dépassée», selon la directrice générale. A découvrir à l’automne de 2016.

Claudia COURTOIS
Le Point – Spécial Bordeaux – 19/05/2016, n°2280
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