Grands travaux, chinoiseries et restructuration du vignoble : à Margaux, l’œuvre de Marquis d’Alesme renaît sous la baguette de deux femmes
On ne badine pas avec le destin : il gagne toujours, pour le meilleur ou pour le pire. Au Château Marquis d’Alesme c’est pour le meilleur : la famille Perrodo, actuelle propriétaire, a renoué le fil de ses origines, marquées déjà par l’empreinte de la Chine. Il faut remonter quatre siècles plus tôt, lorsqu’en 1616 les premières vignes firent leur apparition sur le domaine créé en 1585 par François d’Alesme, écuyer et conseiller du roi Henri III au parlement de Bordeaux. Au XVIIIe, l’un de ses descendants, Pierre Vincent-de-Paul, marquis d’Alesme, s’attacha à y produire un grand vin. Cet homme érudit partageait son temps entre la cour de Versailles, où les chinoiseries étaient à la mode, et sa propriété de Margaux. Amoureux des arts d’Extrême-Orient, il y vivait au milieu de jardins, de pièces et d’objets d’art reflétant sa passion. Une passion qui renaît, telle le phénix, trois siècles plus tard. Hasard … ?
Au printemps 2006, Hubert Perrodo, industriel pétrolier français, déjà propriétaire à Margaux de Labégorce, acquiert Marquis d’Alesme, un domaine somnolent qu’il veut rétablir à son niveau de troisième grand cru classé. Sa mort accidentelle six mois plus tard, à 62 ans, aurait pu donner un coup d’arrêt au projet. Mais sa fille Nathalie, qui travaille dans la finance à Londres, décide de poursuivre son œuvre et prend les rênes du vignoble, à 26 ans. Elle en confie la direction en 2010 à Marjolaine Maurice de Coninck : « J’avais eu la chance – encore le hasard ! – de rencontrer Hubert Perrodo en 2006, explique cette jeune femme avenante, et il m’avait fait part de ses idées pour relancer le vignoble. » Ingénieur agronome et œnologue, diplômée en économie, elle a déjà dirigé de beaux domaines, en particulier L’Arrosée et Fonplégade à Saint-Émilion, deux grands crus classés.
Après avoir restructuré les 15 hectares de Marquis d’Alesme, elle y applique une philosophie inspirée de son expérience rive droite, marquée par une approche parcellaire du travail de la vigne et par un management motivant pour recréer une dynamique. « Je veux que nos salariés soient fiers de participer à ce grand projet. C’est une chance extraordinaire de pouvoir redémarrer un vignoble pour le rendre à nouveau digne de son classement. Surtout soutenus par une propriétaire consciente que le monde du vin s’inscrit dans le temps et que nous travaillons dans une optique de dix ans. Nous sommes des bâtisseurs. »
Bâtisseur, à Marquis d’Alesme, n’est pas un vain mot, comme le prouvent les grands travaux entrepris en septembre 2013 pour l’aménagement des espaces de production et d’accueil. Nathalie Perrodo a voulu y exprimer l’empreinte de ses deux origines : française par son père, fils d’un pêcheur breton, chinoise par sa mère, ancien mannequin de Hong Kong. Elle a confié ce défi à l’architecte bordelais Fabien Pédelaborde, le rénovateur de Soutard à Saint-Émilion. Afin de mener à bien ce projet, il s’est rendu plusieurs fois à Pékin pour rencontrer des experts en arts asiatiques.
Les constructions sont de style français classique : pavillon de réception XVIIIe déplacé pierre par pierre du château Labégorce, hameau-ferme-boutique pour l’accueil, bâtiment technique flanqué d’une galerie à arcades et coiffé d’un toit-terrasse dominant les vignes. C’est dans le décor intérieur du cuvier et des chais, réalisé par des artisans girondins, que s’exprime la tradition chinoise : enfilade de portes de lune circulaires, plafonds à caissons de bois, claustras à motifs géométriques, signes du tao incrustés dans les murs en béton matricé, rampe sinueuse en bronze doré symbolisant la queue d’un dragon recouverte de 22 000 écailles …
Les travaux devraient se terminer fin 2015. Le jour de l’inauguration, le fantôme du chinoisant marquis d’Alesme, appuyé sur la queue du dragon, aura certainement le sourire.