Visite de domaine – Grand cru entre Occident et Orient

À Margaux, le château Marquis d’Alesme a totalement été rebâti. L’architecte Fabien Pédelaborde y a interprété la double culture franco-chinoise de sa propriétaire, Nathalie Perrodo-Samani.

De l’extérieur, les bâtiments ont tout d’une architecture classique du XVIII siècle. Le « hameau », édifice dédié à l’accueil et aux dégustations, est inspiré de celui de Marie- Antoinette à Versailles, et mixe bois et béton de chanvre dans un style rustique. Le cuvier et les chais se déploient sur plus de 80 mètres de long en un bâti- ment de pierre de taille avec des arcades et se poursuivent à l’arrière en béton brut. Mais l’intérieur révèle une tout autre facette : « La part plus intime de la double culture de la propriétaire, franco- chinoise. » L’architecte bordelais Fabien Pédelaborde est parti d’une page vierge : la propriété acquise en 2006 ne comprenait pas l’ancien château, mais les 15 hectares de vignes et 2 hectares au cœur du village de Margaux de bâtiments d’exploitation et d’un parc à l’abandon. « Au cours de mes échanges avec Nathalie Perrodo-Samani, la propriétaire, j’ai ressenti un vrai télescopage de ses deux cultures, chinoise et européenne. Je me suis engouffré dans ce nouveau territoire. » Il conserve la cohérence géographique d’un style classique plutôt XVIIIe en extérieur et va décliner à l’intérieur une perception subtile de la culture chinoise. Chaque symbole, chaque motif, chaque dessin fait l’objet de recherches documentées, l’architecte séjourne même à Pékin histoire de mieux s’imprégner de la culture. Numérologie, résonances de forme entre ciel, terre et eau, philosophie du tao vont faire partie intégrante du pro- jet architectural.

Un assemblage réussi

Ainsi les plafonds à caissons, ornés chacun de 81 carrés, du cuvier et des chais rappellent les architectures chinoises traditionnelles. Les soubassements de béton, moulés à partir de gravures sur plâtres de l’artiste mosaïste Danielle Justes illustrent les éléments du tao, la terre, l’eau et le ciel. Les 22000 écailles de laiton patiné de la balustrade rivetées une à une, sont celles d’un dragon. Jusqu’à l’incroyable succession des six « portes de Lune » (portes rondes) qui distribuent les différents chais à barriques. Tout a été pensé et se déploie en une élégante fluidité. Extérieur compris, avec l’immense pelouse ponctuée de voliges d’acier « pour appuyer les perspectives » et la succession de jardins plus intimes, voulus comme une déambulation sensorielle à travers de véritables pièces végétales : Cour des Simples, Jardin de Contemplations, Pavillon de l’Ivresse… Avant d’arriver dans le vaste parc qui se prolonge en une mer de vignes. « Là où je ne voyais que de la forme, les chinois voient du sens », souligne Fabien Pédelaborde. Une renaissance sous le signe d’une acculturation architecturale réussie.